lundi 20 décembre 2010

Sylvia Bataille et l'Origine du Monde

L’actrice française Sylvia Bataille est morte le 22, ou le 23 (Wikipedia français diverge d’avec son cousin anglais) décembre 1994.

Sa filmographie est relativement fournie, mais dominent deux Renoir, le Crime de Monsieur Lange et Partie de Campagne, tous deux officiellement datés de 1936. En réalité, s’il a bien été tourné pendant l’été 36, Partie de campagne ne sera distribué qu’après-guerre. Cet hommage merveilleux (mais il n’est pas que cela) du fils au père, Auguste Renoir, souffrit pendant son tournage de conditions météo déplorables, de problèmes d’argent et, autre plaie endémique de l'industrie du cinéma, de mésententes entre ses protagonistes, singulièrement entre la jeune Bataille et « le patron », Jean Renoir. Le film, pour ces raisons, a longtemps été considéré comme inachevé. Pourtant, quel chef-d’œuvre. Et quelle aventure. Cartier Bresson, Jacques Becker, et Georges Bataille en étudiants séminaristes...


Bataille était alors séparé de Sylvia, mais ils étaient mariés (ils ne divorceront qu’en 1946, année, précisément, de la sortie réelle de Partie de Campagne). Et l’écrivain, qui on le sait avait envisagé de tenir le goupillon dans sa jeunesse, redonne donc vie « pour de faux » à cette vocation, en image. Sylvia, entre deux colères, s’allonge tout de même, sous les frondaisons, et sous l’œil de son maître – contesté, donc – du jour, Renoir. C’est cet abandon champêtre et factice qui a frappé Pontalis : « Sylvia Bataille dans Partie de campagne de Renoir : la balançoire et surtout, merveille des merveilles, la scène où elle s'abandonne, couchée dans l'herbe, à ce qui soudain lui arrive, la surprend, l'envahit : ce plaisir qui n'a pas de nom. » [Elles, récits, Gallimard, 2007]. Film inachevé, plaisir sans nom.


Lorsque le film touche son public, en 1946, Sylvia vit (depuis 1938) avec Jacques Lacan. Et c’est en 1955 que Jacques et Sylvia acquièrent L’Origine du Monde, et l’installent… à la campagne, dans leur maison de Guitrancourt (Yvelines), pour le montrer, le cacher, montrer, cacher, dans un balancement rituel, aux amis et aux admirateurs. Que d’abandons, que de parties de campagne, guitrancourtois, guitrancourtoises, ne peut-on s’empêcher d’imaginer !

Lorsque Sylvia disparaît, en 1994 (sans doute, donc, dans la nuit du 22 au 23, saut nocturne hors de la balançoire, au terme du dernier abandon - dans cette maison de campagne?) l’Etat accepte en paiement des droits de la succession Bataille/Lacan, le tableau. C’est au Musée d’Orsay que tout un chacun, désormais, peut poursuivre la quête de Sylvia, donner un lieu, et un nom, à un abandon inachevé.

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